La Famille Ravenwood

Quel destin tragique que celui d’un génie incompris ! Mes parents pensent que je suis trop jeune pour dompter des animaux, et même un lapin, si j’y arrivais, ne serait après pas quelque chose d’assez spectaculaire pour le public. En attendant de réaliser mon rêve, je suis cantonné au rôle de funambule, pour mon sens de l’équilibre assez bon… Mais j’ai décidé de m’entraîner dès maintenant pour devenir le plus possible le meilleur dompteur. C’est pour cela que depuis 126 jours, tous les matins, en me réveillant, je pense à un animal, et adopte son comportement pendant toute la journée, une manière de me l’approprier pour savoir comment le dresser. Les autres pensent que je joue et sourient avec douceur en me voyant. Quel destin tragique que celui d’un génie incompris !

Aujourd’hui donc, je suis un lion. J marche à quatre pattes, et au déjeuner mords dans un morceau de viande crue et encore sanguinolente. Mes parents me regardent faire avec indulgence. Ce qui leur importe est que je sois un bon funambule lors des spectacles, du reste je peux faire ce que je souhaite du moment que je ne les dérange pas. Je vais ensuite m’allonger en boule sur un fauteuil, à l’abri du soleil, pour une petite sieste digestive.
C’est le moment que choisit ma sœur, Candice, pour venir m’embêter. Cependant je ne dors pas encore totalement contrairement à ce qu’elle semble croire. Alors qu’elle me prend dans ses bras pour un « câlin surprise » comme elle dit, je la griffe violemment au visage et lui plante mes dents dans l’épaule. Elle crie et je sens le goût de son sang sur ma langue. Wesley, jamais loin de sa sœur, arrive en courant et donne une claque sonore qui me fait lâcher Candice. Je fonce sur lui, le mordant à la jambe pour avoir osé me faire mal. Je suis furieux. Il me donne un coup de pied dans les côtes qui me fait rouler quelques pas plus loin.
Mamie accourt à cet instant, hurlant, et nous donne un coup de parapluie à chacun sur la tête. Je grogne et m’enfuis en courant à travers la maison pour me réfugier sous mon lit, en boule, position de défense et attaque à la fois. Je n’ai pas eu le temps d’entendre ce que Candice et Wesley ont dit à mon propos, mais je sais qu’ils me croient fous. Ou du moins retardé. Selon eux j’aurais hérité des gènes de « Mamie-Fofolle » comme ils disent. Si seulement ils savaient…
Mais mon orgueil est blessé, je me suis fait chasser de mon territoire… Il va vite falloir que j’en conquière un nouveau. Je m’endors sans m’en rendre compte, c’est la voix de Caroline qui me réveille en sursaut. Elle me cherche :
« Felix ? Mon petit ? Je ne sais pas où tu es mais il faut sortir de ta cachette et te préparer pour le spectacle, il commence dans trente minutes ! Je viendrai dans ta chambre dans dix minutes pour t’aider à te coiffer et te maquiller. »
Sa voix s’éloigne au fur et à mesure. Je reste encore une quinzaine de minutes sans bouger. Silencieusement, je sors de mon antre, vais à l’armoire et en tire mon costume de spectacle. Je l’enfile et m’assois ensuite sur mon lit. Je l’entends revenir, comme elle l’avait dit. Sans un mot, elle s’occupe de me préparer pour me rendre présentable.
Je retrouve le reste de ma famille dans le jardin, sous la partie du chapiteau réservée aux loges.
« Tu t’es entraîné aujourd’hui mon petit ? »
Devant mes lèvres retroussées ma mère fronce les sourcils.
« Bien, du moment que le spectacle est réussi, je serai contente. »
La musique résonne, et mon père fait son entrée en scène, sous des tonnerres d’applaudissements. Je regarde Candice du coup de l’œil. Elle a une drôle de lueur au fond du regard. Que manigance-t-elle ? Le spectacle va-t-il vraiment se dérouler sans accrocs ?