Bisc
L’homme, l’accompagnateur, vient de mourir sous mes yeux. Encore un mort. Le pauvre. Il paraissait pour autant si sympathique… Il m’a pourtant aidé à développer ma respiration. Je lui devais beaucoup.
Je me retourne, et je dois faire face au regard accusateur du reste des clients de l’hôtel. Personne n’a vu que c’est lui qui a lâché prise. J’entends quelqu’un appeler la police. Pour moi, sans doute. Sauf qu’instinctivement, je réagis. Je suis policier. Je me précipite auprès de cette personne. Qui prend ma précipitation pour une menace, et aggrave ma situation. Je suis bien plus grand que les gens réunies ici, mais elles m’ont encerclé. Je pourrais me frayer un passage, mais j’ai peur de les blesser.
L’adrénaline me fait réfléchir à toute vitesse. Un tueur ravage ma ville. On m’en écarte pour éviter tout soupçon. On m’accuse de meurtre. On va penser que c’est moi, ce tueur. Je sens pointer un sentiment qui ne m’est pas familier. Je le sens se répandre dans mon sang comme un poison. Il est froid. Je le reconnais, c’est la peur. Mon cœur d’habitude si serein tambourine de toute sa puissance derrière la paroi de mes muscles tendus. Oui, c’est bien la peur. Je ne l’avais pas éprouvée depuis si longtemps…
Si je fuis, on va vraiment me prendre pour le coupable. Je dois rester, et affronter les problèmes qui vont survenir. J’entends déjà une sirène. Ma sirène. Je me sens ailleurs, pétrifié. Les gyrophares m’éblouissent, mais ça ne me dérange pas.
J’ai toujours été dans le droit chemin. J’ai voulu faire de l’ordre et de la justice ma raison de vivre. Mon corps en est la preuve. Et voilà qu’un revirement de situation, un incident minime, la retourne contre moi. Moi qui en suis un disciple assidu. Moi qui ai tout fait pour qu’elle soit respectée. J’ai une pensée pour Roselia. Je n’arrive pas à éprouver de la colère, du ressentiment parce que ma tête est déconnectée. Ma santé si forte et endurante depuis mon plus jeune âge faiblit pour la première fois. Je tombe lourdement, au ralenti, tandis qu’un voile blanc recouvre ma vision. La dernière sensation que j’ai est celle de l’acier froid des menottes autour de mes poignets.
Otto
Il sent qu’il va mourir. Voilà une heure qu’il n’a rien avalé. Son estomac le torture. Il émet des bruits de succions, de gargouillements, dans une tentative de rébellion vaine. Otto, toujours accroché à son poteau, a de plus en plus chaud. La faim le ronge, ce qui le fait transpirer à grosses gouttes. Les cordages qui le maintiennent en place compactent son ventre contre ses poumons et sa respiration est de plus en plus faible. Son volume a presque été divisé par deux par la pression qui lui semble toujours plus forte. Son cœur en souffre, si bien qu’il ne produit plus que quelques battements irréguliers.
Il est debout depuis une heure. Il n’a pas accompli tel exploit depuis… cela remonte à tellement longtemps qu’il ne s’en souvient plus. Il a mal aux pieds, et son sang circule mal dans ses jambes. Il a senti des fourmis, mais elles se sont transformées en guêpes, parce qu’il a l’impression qu’on lui enfonce des aiguilles dans les vaisseaux sanguins. Il tente de se concentrer sur autre, comme maudire ceux qui ont serré si fort ces liens, mais l’agonie de son corps le rappelle aux priorités.
Il est conscient de son… embonpoint. Il pensait mourir d’un infarctus, ou d’une crise cardiaque. Mais non, il mourra par la faute d’une corde trop serrée.
Soudain, son cœur émit un « BOOOM » tonitruant qui le fit vibrer malgré la pression des cordes. Ses pieds se mirent à chauffer atrocement, la tension monta dans tout son corps, pour qu’au final son estomac réponde au coup de canon par un gargouillement abominable.
Suite à ce moment de crise, Otto s’est senti bien mieux. La pression lui parait moins forte, et ses pieds ont retrouvé une température normale. Sa transpiration a diminué et sa faim s’est apaisée, restant tout de même sous-jacente. Quoi que cela ait été, cela lui a été très bénéfique.
Mais il n’a pas le temps de savourer ce soulagement, car il s’est raidi au son des pas qui viennent dans sa direction, et du bruit de la clé dans la serrure de sa cellule.